Les Sallano Diriart, familles de notables
Fin mars 1869, deux familles notables, s’allient et consolident un peu plus leur assise sociale et économique grâce à cet évènement. Le mariage se déroule à Saint-Palais en présence de nombreux témoins. L’épouse, Ernestine Diriart, est issue d’une famille bien connue pour l’activité notariale qu’elle exerce depuis plusieurs années à Saint-Palais. En effet, Pierre-Adolphe et Pierre-Gustave, ses deux frères, tiennent en effet de main de maître la première étude de notaire de la ville dont ils ont repris la succession au décès de leur père, Jean-Claude, en 1851.
L’époux, Arnaud Sallano est né à Bustince-Iriberry en 1821, il a 48 ans et exerce la profession de négociant. Fils du greffier de la Justice de Paix de Saint-Jean-Pied-de-Port, il est domicilié à Bordeaux et propriétaire rentier tout comme ses deux frères et témoins. Les deux professions que nous venons de citer n’étant pas sans relation, il est facile d’imaginer que des projets d’union aient pu voir le jour dans un contexte qui finalement rapprochait deux familles aisées. Ernestine étant née en 1840 ce sont 19 années qui séparent les époux.
Une vie passée à Aïcirits
Nous retrouvons le couple à Aïcirits, installé à Lamerenx en 1873 pour la naissance de leur fils Adolphe-Pierre le 6 janvier. Caroline, née en 1875, Catherine-Louise née en 1879 (qui ne vivra que deux mois), Gustave né en 1880 et Antoine-Ernest né en 1882 (mort en 1891 à l’âge de 9 ans) suivront.
Les recensements d’Aïcirits, bien conservés (ce qui n’est pas toujours le cas), permettent de suivre attentivement la famille de 1876 à 1911 et d’en retracer le parcours. Elle vit dans une certaine aisance et emploie plusieurs domestiques. Arnaud n’a guère plus d’attaches avec sa commune d’origine, Bustince-Iriberry. En effet, le domaine familial a été vendu par licitation en 1881 et la famille Sallano est dispersée entre Bordeaux et Buenos Aires. C’était une belle propriété avec une maison de maître « Jaureguia », deux corps d’exploitation occupés par deux métayers ou colons partiaires, des terres labourables, bois-futaie et d’agréments, prairies, vignes et fougeraies, le tout sur cinquante hectares. C’est après la mort de son père en 1896, qu’Adolphe, en tant que fils aîné exploite une scierie mécanique dont il est propriétaire. Désormais bien inclus au sein de la communauté de ce petit village d’Aïcirits, c’est une responsabilité précoce qui lui incombe et certainement une lourde charge pour ce jeune homme de 23 ans, assurant ainsi le bien être et la position de sa famille : sa mère, sa sœur et son frère mais aussi celle de ses employés. Cette responsabilité lui est d’ailleurs légitimement reconnue quand il est temporairement déchargé de ses obligations militaires lors de l’appel de sa classe en 1893. S’il est « propre au service », il en est néanmoins dispensé en tant que « fils aîné de septuagénaire ».
Adolphe est rattrapé par ses obligations militaires
Il ne s’agit pourtant que d’une brève échéance et fin 1894, Adolphe est incorporé dans le 49e régiment d’infanterie de Bayonne. En congé en 1895, il devient réserviste en 1897, non sans avoir accompli ses périodes d’exercices. Nommé caporal en 1899, il passe dans la territoriale en 1907 pour sept années de répit. Le 4 août 1914 il rejoint son régiment : le 142e RIT à Bayonne.
A la fin de ce mois d’août pesant, le régiment quitte Bayonne en direction de Paris comme tant d’autres le font en réponse à l’appel de mobilisation générale proclamé partout en France le 2 août. Adolphe fait route en compagnie d’un autre Aiziriztar : Jean Moustrous. Son frère, Gustave est lui aussi mobilisé et part quelques jours plus tard. Leur mère Ernestine a donc vu ses deux fils quitter la maison familiale, restant seule avec sa fille Caroline.
Un régiment soumis au feu des tirs et aux armes chimiques
En tant que territorial, le régiment aide à soutenir l’effort des combattants de l’active. Il organise les barrages de défense, assure le ravitaillement, consolide les places conquises. Cela ne l’empêche pas d’être violemment soumis au feu des tirs ennemis et de subir de lourdes pertes. 1916 est « l’année » de Verdun et de la Somme : il participe aux deux.
En juin, le 142e est dans le secteur de Bray-sur-Somme, Suzanne et Maricourt. Dès le 1er juillet commence une longue série d’assauts et de confrontations toutes plus meurtrières les unes que les autres. « L’extraordinaire radicalisation de la violence de guerre »(1) inflige un nombre de morts inouï pour chacun des belligérants engagés et révèle une nouvelle forme de bataille, ce d’autant plus que 1916 marque le tournant d’une innovation technique : la guerre chimique. Le journal de Jean-Maurice Adde, commandant au 142e décrit la nuit du 25 juillet comme épouvantable et conclut ses notes du lendemain par un « quelle sale invention que ces gaz »(2).
Adolphe Sallano, asphyxié, est transporté à l’ambulance 7/20 d’Etinehem, à quelques kilomètres : il y meurt le 25 pour aussitôt être enterré sur place, au cimetière dépendant de cet hôpital de campagne. Devenu nécropole nationale, « La Cote 80 », il y repose désormais dans une tombe individuelle, numérotée 372. Mort pour la France, son nom est inscrit sur le monument aux morts d’Aïcirits parmi les quinze autres Aiziriztar.
Il fait partie de ces jeunes gens morts loin de chez eux comme ces soldats de Tardets enrôlés dans un des épisodes les plus sanglants de notre histoire.
Source documentaires
- Etat civil, Aïcirits, AD 64, 5 MI 10, 4 E 10
- Etat civil, Saint-Palais, AD 64, 5 MI 493
- Etat civil, Bustince-Iriberry, AD 64, 5 MI 155
- Recensement de population, Aïcirits, 1876-1911, AD 64, E dépôt Aïcirits, 1 F 2.
- Registres matricules, AD 64, sous série 1R
- Minutes notariales, Sunhary, AD64, III E 18148
Sur Internet
- SGA, Mémoire des Hommes
- Historique du 142e RIT
- Etinehem
- Carnets de guerre sur la campagne 1914-1918
- MemorialGenWeb, Nécropole nationale La Cote 80
Notes
(1 ) »Les batailles de la Grande Guerre », G. Krumeich, S. Audoin-Rouzeau in Encyclopédie de la Grande Guerre, 1914-1918, Paris : Bayard, 2004, pp 299-311.
(2) Carnets de guerre sur la campagne 1914-1918