L’étude suivante est un relevé des maisons et toponymes cités dans le Cadastre Napoléonien d’Aast effectué en 1836. La géographie et l’habitation du lieu seront reliées à son peuplement à l’époque du Cadastre et la signification des noms de maisons sera décortiquée puis mise en relation avec les patronymes relevés à partir de l’état civil d’Aast. Plusieurs toponymes sont raturés au crayon sur les plans cadastraux et rendent la lecture difficile : ces derniers ne seront pas analysés.
Le plan du cadastre d’Aast
Les indications du tableau d’assemblage
« Tableau d’Assemblage
du Plan Cadastral parcellaire de la Commune
d’AstCanton de Montaner
Arrondissement de Pau Dept. des Basses-Pyrénées
Terminé sur le terrain le 2 Novembre 1836 sous l’Administration
de Mr. Leroy Préfet
Mr. Picourlat Maire
et sous la Direction de
Mr. Casſan Directeur des Contributions
Mr. Barrau Géomètre en Chef
Par Mr. Inchauspe Géomètre du Cadastre«
La section A
Le cadastre d’Aast est divisé en deux sections, la A et la B. La section A contient deux feuilles dont la première nous indique :
« Ast.
Section A.
Dite deu Boscq et Lanne-darré
1re. Feuille
Terminée sur le terrain le 17 Sbre. 1836.
Par
(Joseph) Inchauspe«
Pour cette première feuille dans la section Dite deu Boscq et Lanne-darré soit « de forêt et lande de l’ouest » on débute justement dans une toute petite section à l’ouest d’Aast bornant les communes Hautes-Pyrénéennes de Gardères et Séron. Le seul toponyme gascon relevé est le Quartier Lannedarré éponyme dont l’étymologie lanne « lande » et darré « à l’ouest » est assez claire.
Au Sud de ce quartier on peut suivre le Chemin de Gardères pour arriver à la feuille suivante :
« Ast.
Section A.
Dite deu Boscq et Lannedarré
2me. Feuille
Terminée sur le terrain le 15 Sbre. 1836.
Par
(Jh.) Inchauspe«
En prenant le dit chemin on tombe sur le Croix Lalanne (les croix sont utilisées pour marquer le croisement de chemins à Aast et en Béarn) en face de la dite maison Lalanne « la lande » éponyme. En continuant notre trajet sur le même chemin, on fait le tour du Qer. Marquedébat « quartier ou frontière du nord » marque étant « quartier[1] » et debat « du nord » pour arriver jusqu’au croix de boscq darré « bois de l’ouest ». Ce point marque l’endroit où le Chemin de Gardères rejoint le chemin d’Ast à Ponson-dessus. À l’est : le Qer. Cams deu Mouly « quartier Champs de Moulin », quartier qui englobe un édifice de moulin de la maison Lassus-debat et la maison Caubeyre[2], et en continuant au nord-est par le chemin d’Ast à Ponson-dessus on traverse le Qer. Lassayétes & Brousté « quartier les hêtres et les jeunes pousses d’arbres » et la maison Pouquet « petite » aux côtés de considérables champs angulaires. Le chemin est ensuite coupé par le Ruisseau Loueit (ou) Carbouère dont la première appellation découle du radical gaulois lovo « eau » avec diminutif morphologique gascon, et la seconde « charbonnière, lieu ou on fait le charbon ». Enfin, sur le côté est de la rive, on se retrouve dans le Quartier Labréque et Oumbrés « quartier la brèche et ombres » borné par le Ruisseau Lassableres « où l’on prend le sable » et le Qer. Cams Hoôus « champs fossés, creuses ». Il ne reste que la section B Dite de Lasbaignes-Cuyalas & Bies. de Ger « dite de Les bains-Cayolars & Voies de Ger ».
La section B
« Ast.
Section B.
Dite de Lasbaignes-Cuyalas & Bies. de Ger
en une Feuille
Terminée sur le terrain le 30 Août 1836.
Par (Joseph) Inchauspe«
Le Ruisseau Loueit (ou) Carbouère sépare de nouveau cette section du Cadastre, commençant au plus nord de la présente feuille sur la maison et moulin Lassus-debat « Lassus du nord ». Sur la rive ouest borné par la commune de Gardères, il y a tout d’abord l’agglomération principale du village culminant sur le croix de la Place au croisement de cinq chemins devant lequel demeure l’église communale et presbytère anonymisés. Le chemin d’Ast à Seron relie du nord les maisons Capdevielle « bout de la ville » et Picourlat (issu d’un surnom pour un tel « marqué de la petite vérole ») ainsi qu’un bâtiment nommé tout simplement Borde. Adjacent à l’église on retrouve la maison Casaubou « bon jardin » (cacographie de *Casaubon) parmi trois autres bâtiments anonymes. À l’ouest de la place les maisons Casénave « maison neuve » et Escloupé « sabotier » bornent du nord le Qer. Marquedarré « quartier ou frontière à l’ouest » et les deux chemins parallèles chemin de Gardères à Ast et chemin Lascarrères « les routes ». Ces deux, reliés par le chemin de devan France (« chemin au sud de (la maison) France ») représente la partie sud-est de l’agglomération comportant les maison Lassus « au-dessus, au sud », Tisné « tisserand », France, Pucheu « obstacle, gêne », et Poublan « colon ». Tout cela se trouvant au nord du Qer Lasbaignes « quartier les bains » et la fontaine labagne « fontaine le bain ». De là, on peut traverser le ruisseau avec le chemin Gouaillot « petit gué » qui croise le Chemin Cournedade « chemin du recoin » au Quartier Bies de Ger « quartier (des) voies ou routes de Ger (commune avoisinante) ». Le quartier prend son nom du chemin d’Ast à Ger, siège de plusieurs nouvelles maisons : Guilhauma (prénom féminin), Bayet et adossé le Croix de Bayet, Picourlat-davan « Picourlat de l’est », et Toulou « le petit tuilier » ainsi que son Croix de Toulon au croisé du chemin des hourcqs « chemin des fourches, des bois ». Ce dernier nous amène aux Qers. Cuhourcq = Cuyalas & hourcqs « arrière, dos des bois – Cayolars et fourches, bois » au milieu desquelles se trouve la maison isolée Palacie « palais » sans route directe. Finalement, la dernière agglomération se retrouve au nord-est comprenant les maisons Bidou (forme populaire de Victor selon Iglesias), Hourcade « fourche, fourchade, bois » et sa Croix de hourcade, Lassus-davan « Lassus de l’est » et la Borde de Bayet.
L’occupation des sols
Tout d’abord, la commune, comme présentée ci-dessus, est divisée en deux sections :
La première, la section A représente le quartier rural au nord, rempli de plusieurs centaines de champs en rangées. Ayant les maisons Caubeyre (trois bâtiments)et Pouquet (idem) éloignées des chemins principaux, et Lalanne (idem) au croisement des chemins adjacents à la section B.
La deuxième section, la B comprends le noyau de l’agglomération d’Aast le long de l’axe principal des chemins de Ger et Gardères : Picourlat, Capdevielle, Escloupé, Casénave, Casaubou (sic), Lassus, Tisné, France, Poublan, Guilhauma, Bayet, Picourlat-davan, et Toulou. Ainsi que plusieurs autres maisons (et bordes ignorées ici) sur les chemins moins importants : Lassus-debat, Lassus-davan, Bidou, Hourcade, et Palacie.
Section | Nombre de maisons |
A | 3 |
B | 18 |
Total | 21 |
À l’époque du Cadastre Napoléonien d’Aast, le recensement de 1836 indique une population de 175 habitants, ces derniers donc répartis entre les 21 maisons du village signalées par le Cadastre. Cela nous donne donc une moyenne d’environ 8 habitants ou « feux » par maison.
Glossaire Toponymique
Toponyme | Traduction |
Bayet | « Appliqué à l’homme dont la barbe et les cheveux sont roux et noirs » (Morlet) |
Bidou | « Victor » (Iglesias) |
Bies de Ger (Quartier) | « Voies de Ger » |
boscq darré (Croix) | « Forêt de l’ouest » |
Cams deu Mouly (Quartier) | « Champs du moulin » |
Cams Hoôus (Quartier) | « Champs fossés, creusés »[3] |
Capdevielle | « Bout de la ville » |
Casaubou (sic) | « Bon jardin » |
Casénave | « Maison neuve » |
Caubeyre | Issu de la commune de Caubeyres (Lot-et-Garonne) |
Cournedade (Chemin) | « (Chemin du) coin » |
Cuhourcq = Cuyalas & hourcqs (Quartier) | « Arrière des bois – Cayolars et bois » |
des hourcqs (Chemin) | « (Chemin) des bois, des fourches » |
deu Boscq et Lanne-darré (Section) | « (Section) des Bois et Lande de l’ouest » |
devan France (Chemin) | « (Chemin) devant (la maison) France » |
Escloupé | « Sabotier » |
France | « France » |
Gouaillot (Chemin) | « Petit gué » |
Guilhauma | Prénom féminin |
Hourcade | « Terrain boisé, fourche » |
labagne (Fontaine) | « Le bain » |
Labréque et Oumbrés (Quartier) | « La brèche et Ombres » |
Lalanne | « La lande » |
Lannedarré (Quartier) | « Lande de l’ouest » |
Lasbaignes (Quartier) | « Les bains » |
Lasbaignes-Cuyalas & Bies. de Ger (Section) | « Les bains-Cayolars & Voies de Ger » |
Lascarrères (Chemin) | « Les routes » |
Lassableres (Ruisseau) | « Lieux où l’on prend le sable » |
Lassayétes & Brousté (Quartier) | « Les hêtres & jeunes pouces d’arbres » |
Lassus | « (Maison) au-dessus, au sud » |
Lassus-davan | « Lassus de l’est » |
Lassus-debat | « Lassus du nord » |
Loueit (ou) Carbouère (Ruisseau) | « La petite eau (ou) lieu où l’on fait le charbon » |
Marquedarré (Quartier) | « Quartier, frontière de l’ouest » |
Marquedébat (Quartier) | « Quartier, frontière du nord » |
Palacie | « Palais » |
Picourlat | « Marqué de la petite vérole » |
Picourlat-davan | « Picourlat de l’est » |
Poublan | « Habitant (au sens de colon) » (Dutech) |
Pouquet | « Petit » |
Pucheu | « Obstacle (au sens topographique) » |
Tisné | « Tisserand » |
Toulou | « Petit tuilier » |
La formation des toponymes et son impact sur les patronymes du lieu
Hydronymie
Les deux ruisseaux présents à Aast sont le Loueit (ou) Carbouère qui coule au milieu de la commune de la borne nord à la borne sud, et Lassableres qui coule sur la frontière est avec Ponson-Dessus. Loueit « la petite eau » construit sur le radical gaulois lovo « eau » est un nom assez ancien, mais Carbouère et Lassableres étant plus modernes sont nommés pour leur utilité. Selon ce thème Carbouère correspond au lieu où on fait le charbon et Lassableres correspond au lieu d’où l’on prend le sable (chez Sacaze, l’instituteur local propose « Endroit d’où l’on retire le sable »).
Odonymie
La plupart des chemins sont annotés dans le Cadastre comme étant des chemins de Aast à X, X remplacé par le nom d’une des communes avoisinantes. Pourtant la tradition locale de nommer les chemins est bien plus réfléchie, renvoyant à la spécificité des lieux. Les deux mots exposés dans le Cadastre sont bie « voie » (visibles dans le quartier Bies de Ger) et carrère « routes » comme pour « les routes » Lascarrères. On qualifie aussi le chemin par rapport aux autres toponymes : Cournedade renvoyant à un « recoin », Gouaillot renvoyant à un « petit gué », le Chemin des hourcqs renvoyant à « des bois » et celle de devan France renvoyant au position du chemin en rapport avec la maison France.
Domonymie
La domonymie du lieu représente sans doute certains des plus anciens microtoponymes d’Aast dont beaucoup sont déjà en usage patronymique depuis les débuts des registres paroissiaux locaux des années 1740. Nous complèterons cette partie avec des citations de l’état civil débutant en 1793.
Les domonymes peuvent être issus des caractéristiques de la maison : qu’elle soit « neuve » Casénave, un « palais » Palacie (Jacques Palassie, 1793), ou ayant un « joli jardin » Casaubon (Jean Casaubon, 1793).
Les lieux de la maison jouent également un rôle : elle peut être au « bout de la ville » Capdevielle (Marie Capdevielle, 1803), sur une « lande » Lalanne (Jeanne Lalanne, 1793) des « bois » Hourcade (François Hourcade, 1798) ou un « obstacle » Pucheu (Jean Pucheu, 1814), ou en hauteur Lassus (Jean Lassus, 1802).
On nomme également les maisons en rapport à d’autre maisons préexistantes : Lassus-debat « au nord de Lassus », Lassus-davan « à l’est de Lassus », et Picourlat-davan « à l’est de Picourlat » (Jean Picourlat-Daban, 1793).
Surtout, on nomme les maisons selon les surnoms des habitants! Bidou « Victor » prénom masculin de base (Jean Bidou, 1793), Guilhauma prénom féminin (Jeanne Guilhauma, 1801), Bayet patronyme gascon très répandu, Pouquet « petite » (Jean Baptiste Pouquet, 1798), et Picourlat « marqué de la petite vérole » (Pierre Picourlat, 1806). Ces habitants peuvent avoir diverses origines : de France (Marie France, 1793), de petits villages tels Caubeyres faisant Caubeyre (Jean Caubeire, 1803), ou juste marqués par leur nouveauté dans le village Poublan « habitant (au sens de colon) » (Pierre Poublan, 1819). Ainsi que divers métiers que ça soit « sabotier » (L)Escloupé (Bernard Lescloupe, 1793), « tisserand » Tisné (Mathieu Tisné, 1806), ou « tuilier » Toulou (Julien Toulou, 1796).
Autres toponymes
Pour les autres noms de lieux-dits les compositions varient pour indiquer les lieux parfaitement à l’oral; nous allons être bref. Pour tout quartier on indique toujours la direction cardinale et du type de lieu qu’il s’agit. « À l’ouest » par exemple : « les bois » boscq darré, « la lande » Lannedarré, ou la « frontière » Marquedarré. On indique aussi les champs et ce qui les caractérise que ça soit l’édifice propriétaire Cams deu Mouly « champs du moulin » ou le type « champs creusés » Cams Hoôus. Finalement on indique la végétation Cuhourcq = Cuyalas & hourcqs spécifiant « les bois » hourcqs et les « cayolars » du lieu, Labréque « la brèche », Lassayétes & Brousté « les hêtres & jeunes pouces d’arbres », ainsi que les sources du lieu labagne et Lasbaignes tous indiquant des « bains ».
Impact patronymique
Les domonymes comme on l’a vu, donnent naissance à plusieurs noms de familles des lieux d’Aast, nous allons donc parler des conséquences sur les patronymes du lieu. Le patronyme le plus répandu de l’État Civil d’Aast selon le nombre de mariages est France avec 8 époux et 4 épouses le long de la période 1793-1882 (il faut aussi noter Lescloupé avec 10 mariages). Justement c’est un maison du lieu, et quasiment toutes les maisons du lieu ont propagé leurs noms dans les patronymes à l’exception de Bayet (noté pourtant dans les registres paroissiaux), Casénave (idem), et les dérivés de Lassus sans doute par hasard plutôt que délibérément. Souvent un patronyme indiquera aussi le nom de la maison suivant un « dit(e) » comme dans ce relevé de 1829 Bigné dit Lassus-Debat, Bigné est un patronyme répandu en Béarn et en Gascogne mais étranger à Aast; un étranger portant ce nom aurait déménagé dans la maison Lassus-Debat précisée dans le Cadastre du lieu et ainsi ce nom de l’État Civil est né. Par cette même logique on a énormément de patronyme composé dans l’État Civil prouvant l’ancienne existence de maisons non-citées dans le Cadastre Dominique Frescq dit Loustalot (1824) indique forcément l’existence d’une « petite maison » Loustalot début du XIXe siècle. Ces formes de noms peuvent parfois devenir officielles avec la chute du « dit(e) » : Lassus dit Pucheu (1828) devient Lassus-Pucheu (1854), Naude dit Guilhauma (1838) devient Naude-Guilhauma (1841), etc….
En conclusion, les patronymes d’Aast dérivent tous des multiples maisons du lieu, disparus ou toujours conservant le même nom, mais dont les patronymes étrangers sont toujours présents avec les plus répandus étant Naude (8 mariages), Vigné/Bigné (8 mariages), et Laborde (5 mariages). Les patronymes nous permettent de découvrir des toponymes disparus ainsi que comprendre, par la proportion de patronymes exogènes, le grand essor démographique du village qui eut lieu entre 1840 et 1860.
Auteur : Jean-Max Fawzi (USA)
Projet Babel : http://projetbabel.org/etudes_basques/
[1] « Quartier » qui est, sous-entendu, éloigné du centre de la commune.
[2] Patronyme et domonyme hérité de la commune de Caubeyres (Lot-et-Garonne)
[3] L’instituteur local propose l’étymologie « champs fous » dans le Recueil de Sacaze en 1887, mais cette dernière étant dénudée de sens toponymique, nous proposons un dérivé du latin fossa.
Les plans du cadastre d’Aast sont en ligne sur earchives 64.