« Cejourdhuy six Brumaire, trois heures de relevée, cinquieme année republicaine, nous Pierre Hirigoyen officier de police judiciaire du Canton de Macaye, sur le raport anous fait le meme jour, sept heures du matin, par Gracien Lacouague fermier de Larronde de la Commune de Macaye, que Jean Heguy propriétaire ancien d’Assiots de la meme Commune venait de lui dire avoir trouvé le soir de la veille, Gracien Camino maitre jeune de la ditte maison d’Assiots etendú raide mort dans sa chambre, nous sommes transportés sur les lieux, accompagné de Sebastien Landarretche chirurgien, resident á Mendionde, duement á ce requis tant pour constater le fait le genre de mort, et prendre tous les renseignements relatifs
Entrés par la grande porte donnant sur la cour, Marie Heguy épouse du dit Gracien Camino nous á introduits dans un appartement, nous á été déclaré servir de cuisine au dit Camino, examen scrupuleusement fait sur la porte du dit appartement, ni avons trouvé aucune fracture, ni indice qu’elle ait été forcée ; introduits par la meme Marie Heguy dans la chambre contigue a laditte cuisine dont elle nous á ouvert la porte, sur laquélle nous navons encore remarqué aucun signe de fracture ni d’enfoncement, laditte chambre etant d’apres les déclarations celle ou le dit Camino couchait habituellement, nous avons trouvé ce meme Gracien Camino maitre jeune Dassiots etendú mort áterre, au pied de son lit, la face tournée vers le ciel, tout habillé, et ayant les pieds nuds, avons de plus remarqué sur lui une carabine dechargée, etendue dans toute sa longueur, dont le bout allait vers le dessous du bras gauche dudit Camino, laditte carabine ayant quatre pieds un pouce deux lignes en longueur, garnie en cuivre jaune coupée a la pointe interne de la crosse se trouvant ecrit sur le devant de la crosse : COR TRUS, et BEIZ. Sur laquélle nous avons apposé le sceau de la municipalité de Mendionde, faute de la justice de paix, avons aussi verifié qu’á l’endroit ou il etait entendu il ni avait aucun vestige de sang rependú
Ce fait nous avons requis ledit Landarretche chirurgien d’en faire la visite a l’instant, aquoy procedant ledit Landarretche á remarqué qu’il est mort la veille d’un coup de feu qu’il á reçu au creux de l’estomach sur le quartier xiphoide, qu’il lui á de plus aperçû sur le derriere de l’epaule droite un petit trou, dont á dû sortir la balle : desquélles declarations il resulte que la mort dudit Camino á été violente, et que l’instrument en á été une arme a feu, et attendû que l’officier de santé examinateur, a manifesté le desir de faire l’ouverture du corps et qu’il s’en va deja tard, avons decidé que ledit Landarretche renverrait à demain dix heures du matin l’operateur de l’ouverture du corps, desous faite en consequence a quiconque de l’ïnhumer jusques alors detout quoy avons dressé procés verbal et ledit Landarretche á ci signé avec nous signés á l’original Hirigoyen officier de police, Landarretche officier de santé et Gelos greffier
Cejourdhuy sept Brumaire (a l’heure du midi, cinquieme année republicaine), nous Pierre Hirigoyen officier de Police Judiciaire du Canton de Macaye, accompagné du citoyen Landarretche chirurgien demeurant á Mendionde, dont nous avons requis l’assistance, nous sommes transportés aux cimetières de laditte Commune de Macaye, ou en notre presence ledit Landarretche chirurgien a fait l’ouverture du corps dudit Gracien Camino y transportés par nos ordres, de cette operation il est resulté que le coup avait emporté une partie du coeur, la vertebre cervicale et traversé l’epaule droite ; il á de plus trouvé trois morceaux de plomb fondu dans l’interieur de l’epaule et entre les vraies cotes du coté droit, cette operation faite nous avons permis l’inhumation du cadavre et ledit Landarretche á ci figuré avec nous, signé á l’original Hirigoyen officier de Police, Landarretche officier de santé et Gelos greffier. Pour extrait conforme avons signé Hirigoyen officier de Police »
Signé par Jean Dondicol Officier Public de la commune de Macaye
Découverte macabre
Le soir du 26 Octobre 1796, Jean Heguy, beau-père du défunt Gracien Camino, déclare avoir trouvé le corps de ce dernier dans sa chambre. Peut-être le corps a été découvert en premier par la veuve de Camino, Marie Heguy, or, étant donné que les femmes en France à cette époque ne pouvaient pas être considérées comme témoins, sa découverte n’a pas été enregistrée dans les registres officiels. Comme il était tard, ils ont attendu le lendemain pour déclarer la mort à la mairie. En partant de leur maison d’Assiots, l’un des deux est allé chercher Gracien Lacouague, fermier de la maison voisine de Larronde, à 500 mètres de chez eux, pour servir de deuxième témoin aux côtés de Jean Heguy.
Ensemble, les deux hommes vont prévenir Jean Dondicol, officier public de Macaye, et Pierre Hirigoyen, officier de police, tandis que Marie Heguy reste à la maison avec le cadavre. Hirigoyen se présente sur les lieux, accompagné des deux messieurs, où ils sont accueillis par Marie Heguy. Il raconte ce qu’il voit dans le témoignage ci-dessus en attendant l’arrivée du chirurgien requis de Mendionde. D’après son témoignage, les portes de la maison n’ont pas été forcées, et le corps de Gracien Camino, jeune maître de la maison d’Assiots, était soigneusement placé au pied du lit avec une carabine sous son bras gauche. On détaille les dimensions de la carabine déchargée, mesurant environ 1,33 mètres en unités actuelles, et les inscriptions permettant d’identifier l’arme à feu. À l’endroit où est trouvé le mort, il n’y a aucune trace de sang répandu. C’est très étonnant, mais pourrait s’expliquer par le fait que le corps, déjà en stade de rigidité cadavérique, aurait pu être nettoyé, et peut-être même déplacé, par Marie Heguy ou un autre.
Le soir du 27 Octobre, Sebastien Landarretche, chirurgien natif de Mendionde, arrive sur les lieux pour mener l’autopsie officielle sur le corps de Gracien Camino. Il déclare que Camino est mort la veille, corroborant donc le témoignage de Jean Heguy et Gracien Lacouague, et que la mort a été violente, évidencée par les marques du coup de feu qui traversent du xiphoïde (directement en dessous du sternum) à un trou au niveau de l’épaule. Comme la mort est violente et non naturelle, le chirurgien interdit l’inhumation du cadavre avant que l’ouverture du corps ne détermine avec précision la cause du décès.
Hypothèses
Le processus de cette autopsie du XVIIIe siècle commence donc ainsi :
- Début après l’alerte de deux témoins masculins
- Examen des témoignages et du lieu supposé où est morte la victime
- Examen superficiel du corps
- Interdiction d’inhumation avant que l’autopsie soit achevée
Après l’évaluation superficielle du cadavre, il est tard le soir, et Landarretche manifeste le désir de revenir le matin suivant pour effectuer la dernière étape de l’autopsie, qui est l’ouverture du corps. L’ouverture commence le lendemain à dix heures du matin au cimetière, et se termine deux heures plus tard. Landarretche détermine que la balle en plomb issue de la carabine a traversé le coeur et la vertèbre cervicale, le tuant, et est sortie ensuite par l’épaule droite et l’arrière des vraies côtes droites. Il est fort probable, et même certain, que la balle en plomb se soit fracturée dès le premier contact avec le corps du défunt pour frapper à la fois le coeur et la vertèbre cervicale, tout en sortant en morceaux fondus par deux différents endroits. Une fois l’opération faite, l’inhumation et l’enterrement du corps de Gracien Camino eurent lieu le 28 octobre, le même jour, à l’Église Paroissiale Saint-Étienne de Macaye.
Marie Heguy restera veuve jusqu’à sa mort en 1846 dans la maison Larronde.
La cause du décès de Gracien Camino est connue grâce à l’autopsie, et pourtant, on ne sait pas comment ni pourquoi il est mort. Je propose trois possibilités :
- Accident de chasse : Gracien Camino était équipé d’une carabine ; une telle arme à l’époque n’était utilisée que pour une seule raison : la chasse. Il serait possible qu’en retournant à sa maison après avoir chassé un loup ou un quelconque animal dans une des nombreuses forêts de Macaye, il eut trébuché et appuyé par accident sur la gâchette de sa carabine chargée. Il sera ensuite amené dans sa maison, déjà mort, par sa femme et vu mort au pied de son lit par le témoin Jean Heguy.
- Suicide : On le penserait difficile de se suicider avec une carabine mesurant 1,33 mètres de long, mais Gracien Camino aurait pu s’asseoir et déchargée la carabine avec une ficelle. Il aurait donc choisi de la déchargée vers le coeur en évitant la cage thoracique pour une mort immédiate et avec un minimum de douleur. Cela expliquerait pourquoi Jean Heguy témoigne avoir découvert le corps dans sa chambre. De plus, le corps étant trouvé pieds-nus et sans marques de sang répandu, on peut supposer que Marie Heguy aurait nettoyé et déplacé le corps. Étant donné l’influence importante de l’Église à l’époque et le statut déshonorable du suicide, on aurait placé le corps dans sa chambre après l’avoir préparé pour l’inhumation, tout en enlevant la ficelle et plaçant la carabine à son côté.
- Meurtre : Le témoignage de Pierre Hirigoyen, officier de police, nous confirme qu’aucune porte n’aurait été forcée, mais il se peut que la personne responsable du meurtre de Gracien Camino fut quelqu’un qu’il connaissait et qui n’avait donc pas besoin de forcer une porte pour entrer dans la maison. Camino était le maître de la maison depuis son mariage avec Marie Heguy en 1788, et vu les lacunes des archives, on ne peut que dire avec certitude que le couple eut une fille en 1790, du nom de Catherine. S’ils ont eu d’autres fils ou filles, ces derniers ne sont pas enregistrés dans les registres de naissances numérisés des archives ; le testament de Camino, si elle existe, manque également. Nous ne savons donc pas qui récupérera la maison d’Assiots et les terres qui lui sont accordées après sa mort. Notre unique information nous vient de l’acte de décès de Marie Heguy qui meurt en tant que maîtresse de la maison d’Assiots, actuellement connue sous le nom d’Aziotzia, en 1846. Si la mort de Camino fut la conséquence d’un meurtre, la motivation d’un tel assassinat n’est pas claire puisque la maison semble rester dans sa famille.
Quelque soit la raison de sa mort, et les nombreuses questions qu’elle soulève, il est toujours intéressant de voir comment on procédait pour les autopsies dans le Pays Basque du XVIIIe siècle.
Auteur : Jean-Max Fawzi (USA)
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